Principe du dépôt par ablation laser pulsée

 

La synthèse de nanoparticules et la formation de films nanostructurés par PLD nécessite une bonne connaissance des processus d’interaction laser-matière et de ceux qui en découlent : transfert d’énergie du faisceau laser vers la cible, désorption, évaporation, ablation de la matière, formation et expansion d’un plasma sous vide ou sous atmosphère contrôlée, condensation et formation des nanoclusters, et finalement déposition. Tous ces processus impliqués dans la déposition par ablation laser sont directement reliés aux paramètres expérimentaux (parfois même reliés entre eux) tel que les propriétés de la cible, les conditions d’irradiation (longueur d’onde, durée de l’impulsion laser, fluence), la pression et la nature du gaz environnent, la position du substrat ou encore sa température. Comme on peut le constater, bien que relativement simple à mettre en œuvre, cette technique regroupe donc de nombreux phénomènes qui se superposent et/ou se succèdent.

Le but de ce paragraphe est de résumer les caractéristiques principales de ce procédé en citant les ordres de grandeur des paramètres impliqués et de donner un aperçu des mécanismes mis en jeu et discutés de manière détaillée dans la littérature [1].

On peut considérer quatre étapes successives dans le dépôt par ablation laser :

  • l’interaction laser-cible conduisant à la vaporisation du matériau ;
  • la désorption initiale décrivant la formation du panache ; cette étape est concentrée dans une zone au-dessus de la surface de la cible, proche de celle-ci, dans laquelle un équilibre (ou thermalisation) se produit du fait des collisions nombreuses entre les particules ;
  • l’expansion du panache permettant le transfert de la matière de la cible jusqu’au substrat ;
  • la croissance du film.

Chacune de ces étapes est très importante et doit être contrôlée. En fonction des conditions expérimentales, la formation des nanoclusters peut intervenir à chaque étape du processus de dépôt c’est-à-dire soit par éjection direct de la cible, soit par condensation en phase gazeuse lors de l’expansion du plasma, ou soit par formation sur la surface du substrat. Bien que la voie principale pour l’obtention de nanoclusters de quelques nanomètres reste la condensation en phase gazeuse, des nanoclusters de taille supérieure (20- 100 nm) peuvent également obtenus par condensation et coalescence sur le substrat.

 

Interaction laser-cible :

La formation du plasma résulte de l’interaction du laser avec la cible. Pour simplifier, nous ne considérerons que l’interaction laser-matière en régime nanoseconde. Dans ce cas de figure, le processus est purement thermique, c’est-à-dire que l’énergie absorbée est redistribuée dans le matériau par couplage électrons-phonons ce qui provoque le chauffage du matériau et sa vaporisation. Dans le cas d’un matériau homogène, l’absorption d’un faisceau laser de longueur d’onde  λ peut être décrit par la loi de Beer-Lambert :

  

où I(z) est l’intensité de l’onde dans le matériau à la profondeur z, I0 l’intensité de l’onde incidente, R le coefficient de réflexion du matériau, et ou α(λ)  représente le coefficient d’absorption du matériau c’est-à-dire la fraction de l’énergie absorbée par unité de « profondeur ». Celui-ci est relié à la longueur de pénétration optique δa par la relation :


où n2 représente le coefficient d’extinction du matériau. L’énergie une fois absorbée va alors diffuser dans le matériau par conduction thermique. On définit alors la longueur de diffusion thermique :


qui est la distance parcourue par  l’onde pendant la durée τ de l’impulsion laser dans un matériau de diffusivité thermique χ. Le coefficient de diffusion thermique dépend de la conductivité thermique Kth, de la capacité calorifique Cv et de la densité ρ du matériau :


L’ablation sur une épaisseur L aura lieu si la densité d’énergie absorbée dans cette zone dépasse une valeur seuil qui est :


avec ΔHv l’enthalpie de vaporisation du matériau et ΔT l’élévation de température dans le matériau. Les processus prédominants lors de l’interaction laser-matière dépendent donc fortement des propriétés du matériau vis-à-vis de la longueur d’onde du laser et de la durée d’impulsion du laser : longueur de diffusion thermique et longueur de pénétration optique sont les deux paramètres essentiels qui influencent les phénomènes d’interaction laser-matière. Par exemple, pour un matériau standard absorbant correctement le faisceau laser, l’ablation laser sera facilitée si le matériau est « mauvais » conducteur thermique. L’énergie absorbée ne se dissipe pas dans le matériau et se trouve concentrée dans un faible volume. Dans cette zone, la température va alors croitre rapidement, conduisant à une évaporation massive et la matière va être éjectée.

 

Désorption et formation du panache :

Si l’énergie est suffisante, la surface de la cible au point d’impact subit une élévation rapide de sa température. Des atomes et des électrons sont rapidement éjectés de la surface créant une mince couche de matière confinée près de celle-ci (la couche de Knudsen). L’épaisseur de cette couche correspond à la longueur de pénétration optique, soit généralement 2-3 libre parcours moyen, et n’existe que pendant la durée de l’impulsion. Cela explique que l’utilisation des lasers de longueur d’onde dans l’UV soit la plus courante puisque la plupart des matériaux absorbent fortement cette radiation.  Dans cette couche on identifie trois types de particules :

  • celles issues directement de la surface avec une vitesse normale à la surface ;
  • celles issues de quelques collisions et qui sont soit passées au delà de la limite de la couche de Knudsen, soit sont rétrodiffusées vers la cible ;
  • la troisième classe de particules est celle des particules rétrodiffusées qui se recondensent à la surface de la cible.

Si le taux d’élévation de la température est grand par rapport à la capacité de la cible à diffuser l’énergie absorbée, il y aura vaporisation de la couche de Knudsen. Généralement, la vaporisation s’effectue sur quelques nanosecondes, une durée plus courte que la duré d’impulsion. Le fort taux d’élévation de la température entraîne l’évaporation quasi-simultanée de tous les éléments de la cible. A ce stade, la combinaison de l’absorption du faisceau laser par la vapeur (effet Bremsstrahlung inverse) avec des processus d’ionisation entraîne la formation d’un plasma.

 

Expansion du panache :

L’expansion adiabatique du plasma s’ensuit. Celui-ci se déploie selon une distribution angulaire en sinnθ (θ est l’angle par rapport à la normale à la cible) lui donnant la forme d’une plume, d’où le nom qui lui est souvent substitué. Cette expansion très directionnelle est responsable du manque d’uniformité spatiale de l’épaisseur des films déposés.

Les plasmas laser et leur expansion ont été abondamment étudiés dans la littérature. Les techniques de spectrométrie de masse, de spectroscopie optique et d’imagerie permettent d’étudier les plasmas produits par laser et de caractériser leur composition et leur expansion. Il ressort de ces études que, à basse densité d’énergie laser, l’émission provient en majorité de la désexcitation radiative des atomes neutres. L’augmentation de la densité d’énergie laser permet d’ioniser davantage le plasma ce qui augmente également la densité d’électrons. La vitesse d’éjection des espèces dépendra aussi de la densité d’énergie laser.

  • Cas de l’expansion sous vide Ce régime concerne les pressions de l’ordre de 10-5mbar et reste valable jusqu’à 10-3mbar environ. L’expansion du panache est considérée comme adiabatique, sans perte ni gain d’énergie. Le libre parcours moyen est de l’ordre de 1m, les particules subissent peu de collisions et le régime d’expansion est libre. La position du front du panache varie linéairement avec le temps, l’expansion étant unidimensionnelle pendant environ 200 ns et tridimensionnelle ensuite. Les particules ont des vitesses de l’ordre de 15 à 90 km/s et des énergies de l’ordre de 100 à 400 eV. Les quelques centimètres de la distance cible-substrat sont parcourus en un temps de l’ordre de la μs. La vitesse des particules augmente si la fluence augmente et les particules les plus légères sont les plus rapides.
  • Cas de l’expansion sous atmosphère contrôlée Dans de nombreux cas l’élaboration de dépôts par ablation s’effectue sous atmosphère contrôlée, le domaine de pression concerné pouvant s’étendre jusqu’à 5 mbar. Pour une pression de 0,1mbar par exemple, les collisions entre les espèces et les molécules (ou les atomes) du gaz ambiant correspondent à un libre parcours moyen de l’ordre de 0,6mm. L’expansion du panache se traduit par l’existence de trois régimes successifs : i) l’expansion libre semblable à celui décrit pour l’expansion sous vide mais qui ne dure que quelques centaines de nanosecondes, ii) l’expansion d’une onde de choc et iii) l’expansion limitée par des forces de viscosité. La vitesse des particules est de l’ordre du km/s et leur énergie de 10 à 100eV. Au cours de cette étape peuvent intervenir des réactions chimiques entre les espèces du plasma et le gaz ambiant, et il peut faciliter la condensation en phase gazeuse.  Les propriétés du plasma jouant un rôle prépondérant sur la croissance des films, les techniques de diagnostique in-situ du plasma permettent d’avoir accès à des informations essentielles pour contrôler les propriétés des films déposés.

 

Croissance du film :

La PLD se distingue des autres techniques par son fort taux de déposition instantanée (le taux d’évaporation peut atteindre 1022at./cm2 comparé à 1016at./cm2 par la pulvérisation) et l’intermittence de la déposition puisque qu’on utilise un laser pulsé. L’énergie des particules est également plus élevée que pour d’autres techniques de dépôt, de l’ordre de 1 à 100eV au lieu de 0,1eV pour la MBE ou la CVD. Ces particularités font qu’il sera généralement possible de préparer des films ayant des propriétés similaires à ceux obtenus par d’autres techniques de déposition tout en maintenant le substrat à une température inférieure. La formation de la couche est un phénomène complexe et ses propriétés dépendent de plusieurs paramètres qui peuvent être ajustés sur une très large gamme de valeurs : le taux instantané de déposition, le délai entre deux impulsions, la température et les propriétés physico-chimiques du substrat, et les paramètres plasma (degré d’ionisation, énergie cinétique des espèces). En ajustant judicieusement ces conditions expérimentales, la croissance par l’un ou l’autre des trois modes conventionnels de croissance des films est possible selon le matériau déposé. L’énergie cinétique des différentes espèces présentes dans le plasma peut varier de quelques dizaines d’eV à une fraction d’eV. Selon le régime d’énergie cinétique retenu lors de la déposition, on verra de grandes différences dans la croissance des films.

 

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[1] Littérature :
  • B. Chrisey and G. K. Hubler, Pulsed Laser Deposition of Thin Films. New-York : Wiley-Interscience, 1994.
  • M. Von Allmen, A. Blatter, Laser-beam Interaction with Materials, 2nd edition. Berlin : Springer-Verlag, 1995.
  • D. Bäuerle, Laser Processing and Chemistry, 3rd edition. Berlin : Springer-Verlag, 2000.
  • R. Eason. Pulsed laser deposition of thin films. Applications led growth of functional materials. New Jersey : Wiley-Interscience, 2007.

 

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