Spectrométrie haute résolution de dimères alcalins

A. ROSS, P. CROZET, H, HARKER

 

Fig 1.  Courbes d’énergie potentielle moléculaires particulières à NaK, mais aussi typiques des autres dimères alcalins, mettant en évidence de la fluorescence relative au complexe spin-orbite.

La fluorescence induite par laser(s) couplée à la spectrométrie de Fourier s'avère très performante pour l'étude de dimères alcalins, pour lequel les mesures de précision apportent un cadre nécessaire aux expériences réalisées en régime très froid et servent de test aux modèles asymptotiques de liaisons développés notamment dans le groupe de physico-chimie théorique de l'ILM. En effet, les espèces alcalines, homonucléaires puis plus récemment dipolaires, sont privilégiées pour les études par photoassociation d’atomes ultrafroids (PAS), qui sondent préférentiellement les niveaux vibrationnels très excités, accessibles par notre technique, et difficiles à identifier sans connaissance de la structure électronique. Cette structure s'avère  souvent extrêmement complexe dans le cas des dimères alcalins et sa description par des courbes d’énergie potentielle V(R), couplées éventuellement entre elles et portant sur des distances internucléaires étendues, requiert (entre autre) une description fiable et précise des effets de spin.

Notre approche consiste alors à étudier les états électroniques des dimères alcalins en couplant des techniques de fluorescence induite par laser (à un ou deux photons) et de spectrométrie de Fourier (LIF-FTS). Le montage expérimental est assez simple, mais donne lieu à des spectres riches et résolus rotationnellement, puisque pris dans des conditions favorisant des transferts d’énergie par collision. L’excitation d’un niveau rovibronique unique au moyen d’un laser monomode longitudinal, alliée à la précision et à la résolution de la spectrométrie de Fourier, permet de décrypter ces spectres complexes, qui se révèlent inextricables par absorption directe. Par ailleurs, l’excitation électronique, suivant le schéma à deux photons (pompage + émission spontanée) donne accès aux niveaux vibroniques ‘gerade’ des espèces centro-symétriques, inaccessibles par absorption directe.

Nous étudions en priorité les régions d'irrégularité marquée dans les spectres électroniques des dimères alcalins homonucléaires et hétéronucléaires, en particulier de Rb2 et NaK. Ces perturbations, qui rendent difficile voire impossible l’attribution habituelle et sans ambiguïté des nombres quantiques moléculaires, sont produites par de forts couplages spin-orbite. Des méthodes numériques nous permettent de résoudre l'équation de Schrödinger radiale pour de tels systèmes. Nous avons élaboré des stratégies permettant d’utiliser des formes analytiques pour les courbes d’énergie potentielle moléculaire et pour les fonctions de couplage spin-orbite. Nous prenons en compte les perturbations d’origine spin-orbite, et les effets de couplage spin-rotation dans des calculs d’états couplés, en utilisant des techniques numériques de différences finies et les méthodes de collocation, avec hamiltoniens moléculaires appropriés. La méthode a été testée avec succès sur des données publiées sur NaK, et également sur des données expérimentales obtenues pour la paire d’états électroniques excités fortement couplés (A 1Σ(u)+ et b  3Σ(u)+ pour Rb2. En optimisant les paramètres des courbes d’énergie potentielle moléculaire et des fonctions spin-orbite par le biais d’ajustements itératifs par moindres carrés non-linéaires, les modèles permettent d'atteindre la précision expérimentale (limite Doppler) actuelle. Les résultats sont contrôlés par étude des effets de substitution isotopique et modélisation des intensités observées.

 

NaK

Figure 2 : Spectre LIF-FTS du système A 1Σ+ - X 1Σ+ dans NaK avec élargissement d’une zone de relaxation vibrationnelle qui a permis l’observation de trois croisements évités successifs dans le niveau vibrationnel vA = 0 de l’état électronique A 1Σ+ de NaK, en interaction avec b 3Π.

Des problématiques scientifiques similaires se retrouvent dans les dimères alcalins homo- et hétéronucléaires, mais les effets spin-orbite bien que présents dans la molécule NaK, ne masquent pas complètement les motifs vibrationnels réguliers des spectres (voir Figure 2) comme est le cas dans les spectres de Rb2.  Nous collaborons avec le Professeur Thomas Bergeman de Stony Brook University, USA qui a une grande expertise dans la méthode DVR pour traiter des systèmes perturbés par effet spin-orbite.  En particulier, nous avons récemment enregistré et exploité prés de 80 spectres de fluorescence induite par laser résolue par transformé de Fourier (LIF-FTS) du système A 1Σ+ / b 3Π ← X 1Σ+ de la molécule NaK afin de fournir les “Term” énergies nécessaires à l’ajustement analytique de la méthode DVR de ces deux états électroniques et de leurs fonctions de couplage spin-orbite.  Comme les énergies que nous obtenons sont référencées à l’état fondamental électronique non perturbé, l'intérêt de ces expériences était double : elles permettaient d'augmenter la base de données existante en comblant des vides critiques et en même temps de référencer convenablement l’ensemble des données antérieures à l’état fondamental électronique.  En effet, il existe depuis des années 80, une base de données importante, mais difficilement exploitable car issue de mesures entre deux états électroniques perturbés.  La méthode DVR à quatre canaux traite actuellement ~3400 “Term energies” indépendantes (Tred < 16000 cm-1), obtenant une déviation de la valeur quadratique moyenne non-pondérée de 0.025 cm-1, soit ~3x la précision de mesure.

Cette relance des investigations détaillées de la structure énergétique de la molécule NaK est en grande partie motivée par les expériences de refroidissement moléculaire à partir de molécules faiblement liées dites “Feshbach”.  Ces molécules étant généralement de caractère dominant triplet, leur refroidissement est grandement facilité par un transfert à deux photons passant par un état électronique intermédiaire de caractère mixte triplet/singulet tels que les états A 1Σ+ / b 3Π de la molécule NaK couplés par l’effet spin-orbite, avant d’accéder à l’état électronique fondamental X 1Σ+.  La prédiction fiable de transitions optiques efficaces en refroidissement nécessite une connaissance fine des courbes d'énergie potentielle électroniques ainsi que les éléments de matrice concernant leur couplage sur une gamme de distances internucléaires étendues.  Notre travail vise à développer des formes appropriées de ces éléments de matrice. De futurs expériences à deux photons permettront davantage d'observations de l’état triplet b 3Π, directement inaccessible depuis l’état électronique fondamental en raison de son spin.

Figure 3 : Exemples de croisements évités entre le niveau vibrationnel v = 1 de l’état électronique A 1Σ+ et les trois composantes spin-orbite des niveaux vibrationnels vb = 2 - 5 de l’état électronique b 3Π.  Les “Term” énergies réduites sont tracées en fonction du nombre quantique de rotation J.  Les prédictions de la méthode du Prof. Bergeman sont représentées en points solides; les observations récentes sont représentées par des cercles vides.

 

Rb2 :

Les expériences de double résonance avec deux lasers monomodes ont sondé systématiquement l’état 2 1Πg de Rb2, produisant une fluorescence étendue vers les états B 1Πu et  A1Σu+/b 3Πu. Avec une durée de vie suffisante dans l’état excité, le niveau sélectionné par pompage optique peut se dépeupler par collision, transférant une population sur les niveaux rotationnels (voire rovibrationnels ou rovibroniques) voisins. Les spectres décrivent d’autant mieux alors l’état excité, et peuvent  révéler des effets qui passeraient inaperçus sur la fluorescence principale. Les aberrations dans les intensités de quelques raies traduisent les effets d’interférence quantique, occasionnés dans ce cas particulier par croisements évités locaux (perturbations spin-orbites). Nos modèles pour V(R) et μ(R) (moment de transition dipolaire électrique) doivent reproduire les énergies moléculaires et les intensités mesurées en fluorescence dispersée. La recherche sur les états plus excités encore se poursuit notamment en collaboration avec des chercheurs 

Polonais (IF - PAN & Univ. Varsovie) en spectroscopie de polarisation, et dans le cadre d’une collaboration PICS avec l’équipe de Mme Lyyra à Philadelphie (Temple University, USA), avec laquelle nous perfectionnons les méthodes permettant de cibler les états triplets.

Fig 4 : Fluorescence suivant l'excitation directe du système A 1Σ+u - X 1Σ+g de Rb2, illustrant la complexité des spectres et la sélectivité que partielle de l’excitation malgré un laser monomode.

Fig 5 : Fluorescence suivant l'excitation par double resonance du système 2 1Πg - A 1Σ+u - X 1Σ+g de Rb2, illustrant l’épuration des spectres résultant d'une meilleure sélectivité de l’excitation.  Cette approche de double résonance est bien plus appropriée pour à l’étude des états électroniques 2 1Πg et  A1Σu+/b 3Πu, avec l’état B 1Πu (déjà connu) servant de référence énergétique.

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